lundi 21 septembre 2015

La Russie, un des rares pays développés où le VIH progresse encore.

D’après le rapport de l’Organisation des Nations Unies, entre 850 000 et 1 300 000 personnes étaient porteuses du virus à immunodéficience humaine (VIH) en Russie en 2014. Les experts tirent le signal d’alarme après avoir constaté que le taux de personnes contaminées a augmenté de 10% en 2014.

En bleu le nombre de cas recensés. En rouge le nombre de morts dus au virus.
Source: le centre fédéral de recherche pour le traitement et la lutte contre le SIDA.


  • La transmission lors de rapports hétérosexuels entre conjoints a quadruplé en 15 ans.

Ce qui inquiète le plus et ce à quoi les experts ne s’attendaient pas jusqu’ici est le changement de voie de transmission. Si pendant longtemps on considérait l’épidémie restreinte aux groupes à risques tels que les toxicomanes, les professionnels du sexe et les homosexuels, elle s’est désormais propagée à la population saine. On constate aujourd’hui que le virus se transmet de plus en plus lors de rapports hétérosexuels entre époux, puis de la mère à l’enfant. En effet, en 2009 la commission de l’ONU chargée de combattre l’épidémie mondiale (ONUSIDA), situait le nombre de jeunes femmes russes contaminées entre 400 000 et 570 000, alors qu’elles étaient (seulement) entre 160 000 et 250 000 en 2001. Le nombre de personnes ayant contracté le virus par voie intraveineuse a maintenant été rattrapé par le nombre de personnes ayant été infectées lors de rapports hétérosexuels, qui a quadruplé depuis le début des années 2000.
Un exemple type de contamination est celui d’un homme ayant eu un rapport avec une prostitué ou ayant consommé une drogue à l’aide d’une seringue contaminé car précédemment utilisée par un toxicomane. Cet homme contamine ensuite son épouse lors d’un rapport sexuel. La rapidité à laquelle celle-ci pourra se faire dépister et ensuite soigner dépendra du temps que son mari met à lui avouer qu’il est infecté. Il est toutefois possible que tous deux ne s’en rendent pas compte avant plusieurs années étant donné le nombre élevé de russes qui ne subissent pas de bilans de santé réguliers et l’absence de dépistage obligatoire. En effet ce-dernier n’est obligatoire que pour les individus souhaitant acquérir la citoyenneté russe, les militaires, les femmes enceintes et les étrangers souhaitant se rendre en Russie (le résultat négatif est obligatoire pour toute demande de visa à destination de la Fédération de Russie).

«Aujourd’hui tous les moyens de contamination imaginables sont présents en Russie,» indique l’académicien Vadim Pokrovski. La contamination des patients à l’hôpital avait disparu du territoire russe depuis 20 ans, mais elle a récemment refait surface, notamment lors de transfusions sanguines. Vadim Pokrovski explique que l’usage des seringues à usage unique n’est pas encore généralisé dans les hôpitaux publics.



  • L'épidémie progresse à une rapidité particulièrement inquiétante.


En termes de rapidité de propagation de l’épidémie dans les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), la Russie arrive en première place, loin devant l’Afrique du Sud. Les statistiques officielles indiquent que 3% des hommes russes âgés entre 30 et 35 ans sont porteurs du VIH ainsi que 2% des hommes entre 25 et 30 ans et entre 35 et 40 ans. Mais ceci n’est que la partie visible de l’iceberg, et on estime qu’ils sont en réalité au moins deux fois plus nombreux. En 2011, la chef adjoint du Département de la protection de la santé et du bien-être sanitaire et épidémiologique du ministère russe de la Santé et du Développement social Galina Tchistiakova déclarait que dans certaines régions, notamment Samara, Irkutsk et Novossibirsk, l’épidémie touchait déjà plus de 1% de la population. Cela signifie que dans ces régions, l’épidémie n’est plus restreinte aux groupes à risques, mais qu’elle s’est propagée à la population saine, ce qui devrait en principe commencer à inquiéter le gouvernement russe.



  • Le gouvernement reste passif.

D’après l’institut national des statistiques Rosstat, le taux des décès en Russie dus aux SIDA augmente de 5% chaque année. Parmi les facteurs responsables, les experts dénoncent le manque d’intérêt et d’inquiétude du gouvernement face à l’expansion de l’épidémie, en particulier l’absence de programmes de prévention dans les écoles comme il en existe en Europe et une politique visant à promouvoir les valeurs traditionnelles et familiales plutôt qu’à sensibiliser la population au problème et à mettre en garde la population sexuellement active contre les risques de transmission. Le gouvernement est souvent montré du doigt par les organisations non gouvernementales et les experts qui condamnent l’absence de financement de campagne de sensibilisation et de mesures préventives visant à réduire le nombre de contaminés comme par exemple la distribution gratuite de seringues stériles et de traitements de substitution aux consommateurs de drogues injectables, la mise en place de plannings familiaux dans chaque commune qui informent et conseillent les jeunes mais aussi mettent à leur disposition des préservatifs gratuits. Dans son rapport, l’ONU indique que l’accès aux services d’information et aux soins des groupes à risques est indispensable dans la lutte contre l’épidémie. Rappelons qu’en 2009, 15,6% des consommateurs de drogues injectables étaient porteurs du virus, 4,5% des professionnels de l’industrie du sexe (à cela s’ajoute les individus faisant appel à leurs services et potentiellement contaminés, qui sont estimés à 5 fois plus nombreux) et 8,3% des homosexuels. On constate que ces groupes à risques ont généralement un nombre plus élevé de partenaires sexuels au cours de leur vie. 

L’influence grandissante de l’Eglise orthodoxe qui prône les valeurs traditionnelles et donc condamne l’utilisation des préservatifs est également citée comme facteur facilitant la propagation de l’épidémie. Vadim Pokrovski critique également l’approche passive du ministère de la santé russe, notamment la déclaration de la ministre Skvortsova devant l’Assemblée générale de l’ONU en 2011: «La principale mesure du gouvernement russe pour combattre le VIH est devenu le développement d’un programme visant à stimuler un style de vie sain chez nos citoyens, et à les dissuader d’adopter un comportement à risques.» Selon lui, tant que le gouvernement considérera que si l’on se comporte de manière responsable il n’y aura pas de VIH, l’épidémie continuera de progresser sur le territoire russe. 

  • Un diagnostic beaucoup trop tardif

Sur presque un million de personnes contaminés, environ 185 000 suivent actuellement un traitement. Ce nombre apparemment faible est dû au fait qu’en Russie les malades sont pris en charge beaucoup plus tard qu’en Europe. Dans les provinces, on attend encore plus longtemps. En France on insiste sur la nécessité de prendre en charge les malades dès que le diagnostique est tombé, alors qu’en Russie le protocole dicte d’attendre un stade avancé du SIDA (soit un taux de CD4 inférieur à 200/mm3) pour commencer le traitement. C’est le quatrième et dernier stade de la classification des stades cliniques de l’Organisation Mondiale de la Santé. L’immunité du patient est alors déjà extrêmement faible, et les chances de survie également.

Face à la situation critique, les experts espèrent une réaction du gouvernement et l’adoption d’une réelle stratégie sur le modèle de l’Europe de l’ouest. Mais il faut avant tout que le gouvernement admette que le problème ne se limite désormais plus aux groupes à risques et qu’il « éveille » les consciences pour que l’ensemble de la population réalise l’ampleur de l’épidémie. Cela passe nécessairement par des campagnes d’information et de prévention, l’aide et l’accès aux soins pour les groupes à risques et l’augmentation des financements accordés à la production des médicaments.

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